Référé administratif: obligation de recourir à la procédure électronique ?

Référé administratif: obligation de recourir à la procédure électronique?

  1. La loi du 11 juillet 2023 « modifiant les lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 » s’inscrit dans le cadre d’une grande réforme visant à optimiser le fonctionnement du Conseil d’Etat et à résorber les délais de traitement des procédures.

    Dans ce contexte, l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 apporte une refonte significative de l’article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat qui traite des demandes de suspension et de mesures provisoires :
    • d’une part, la procédure de suspension ordinaire et la procédure de suspension d’extrême urgence sont « uniformisées », bien que cette dernière conserve certaines spécificités propres ;
    • d’autre part, le président de la chambre saisie, en concertation avec l’auditeur, établit désormais un calendrier de procédure pour chaque affaire introduite et des délais sont fixés par la loi pour le dépôt du rapport de l’auditeur et le prononcé de l’arrêt, selon que l’affaire soit introduite sous le bénéfice de l’« urgence » ou de l’« extrême urgence ».


    Pour faciliter le respect de ces nouveaux délais, plusieurs mesures ont été mises en place par la réforme. Parmi celles-ci, figure l’obligation inscrite au nouvel article 17, §1er, alinéa 2 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat qui impose que les demandes de suspension et de mesures provisoires soient introduites et traitées exclusivement par voie électronique.

    Cette obligation ne s’applique toutefois qu’aux parties assistées ou représentées par un avocat, et aux autorités administratives au sens de l’article 14, §1er des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.  

  2. Instauré par un arrêté royal du 13 janvier 2014, l’article 85bis de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 a ouvert la voie à une modernisation importante en prévoyant la possibilité pour les justiciables de déposer leurs actes et pièces de procédure au moyen d’une plateforme en ligne, gérée directement par le Conseil d’État, appelée e-ProAdmin.

    Bien que de nombreux avocats aient pleinement intégré l’utilisation de la plateforme dans leur pratique professionnelle, certains continuent de privilégier les méthodes plus traditionnelles, telles que l’envoi des écrits et pièces par courrier postal ou leur dépôt physique au greffe du Conseil d’Etat.


  3. C’est dans ce contexte que deux avocats, assistés de trois particuliers, ont introduit un recours en annulation partielle à l’encontre de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 devant la Cour constitutionnelle. 

    Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle examine les arguments des requérants à la lumière des travaux préparatoires de la loi et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle conclut que l’obligation de recourir à la procédure électronique poursuit un objectif légitime d’intérêt général, en garantissant la rapidité et l’efficacité du traitement des demandes de suspension et de mesures provisoires.

    La Cour souligne que l’obligation du recours à la procédure électronique permet à toutes les parties, à l’auditorat et au Conseil d’État d’accéder immédiatement aux pièces du dossier, contribuant ainsi à respecter les délais stricts imposés par la loi du 11 juillet 2023.

    La Cour rejette le grief des requérants selon lequel les avocats exerçant dans des zones mal desservies par l’infrastructure numérique seraient pénalisés. Elle se réfère au rapport au Roi relatif à l’arrêté royal du 13 janvier 2014 qui précise que les exigences techniques pour utiliser la plateforme (un ordinateur, une connexion internet haut débit, une messagerie électronique et un lecteur de cartes) sont largement accessibles sur l’ensemble du territoire belge. Le fait que certaines régions aient une vitesse d’internet moins performante ne rend pas l’accès à la plateforme électronique impossible.

    La Cour mentionne enfin que la disposition attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des avocats et des administrations. En effet, comme pour d’autres exigences procédurales, l’article 3bis de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 prévoit une procédure de régularisation, l’article 85bis, § 14, de l’arrêté précité encadre également les cas d'indisponibilité temporaire de la plateforme du Conseil d'État.

    Ainsi, la Cour constitutionnelle considère que les griefs soutenus par les requérants ne sont pas de nature à remettre en cause la constitutionnalité de l’article 5 de la loi du 11 juillet 2023 modifiant l’article 17, §1er, alinéa 2 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. L’obligation du recours à la procédure électronique est proportionnée, justifiée et appropriée à l’objectif poursuivi, à savoir la rapidité et l’efficacité du traitement des demandes de suspension et de mesures provisoires.


  4. Le nouvel article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat entrera en vigueur le 1er janvier 2025 et s’appliquera aux recours inscrits au rôle du Conseil d’Etat à partir de cette date.