Faits
L’affaire soumise au Tribunal concernait une marque "THE STANDARD" enregistrée, notamment, pour des services hôteliers et auxiliaires, comme les restaurants, bars, cafés, etc. Ces services étaient exclusivement fournis aux Etats-Unis.
Le Règlement européen 2017/1001 sur la marque européenne prévoit que si, dans un délai de cinq ans à compter de son enregistrement, une marque européenne n'a pas fait l'objet, par son titulaire, d'un usage sérieux dans l'Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, en principe, elle est susceptible de déchéance.
En l’espèce, à la demande d’un concurrent du titulaire de la marque "THE STANDARD", celle-ci avait fait l’objet d’une décision de déchéance prononcée par la division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle et cette décision avait été confirmée par la Chambre de recours. Le titulaire de la marque "THE STANDARD" avait alors saisi le Tribunal de l’Union européenne.
Raisonnement juridique du Tribunal
L’usage sérieux d’une marque consiste tant à garantir l’identité d’origine des produits et des services pour lesquels elle a été enregistrée que de créer ou de conserver un marché pour ces produits et services.
Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (voy. notamment CJUE, 19 décembre 2012, Leno Merken BV c. Hagelkruis Beheer BV, C 149/11, EU:C:2012:816, points 36 à 38 et 58 et TUE, 7 novembre 2019, Intas Pharmaceuticals Ltd c. European Union Intellectual Property Office, T 380/18, EU:T:2019:782, point 74) l’usage d’une marque européenne dans un Etat tiers à l’UE ne peut être pris en compte aux fins d’établir l’usage sérieux de ladite marque dans l’Union européenne.
La division d’annulation et la Chambre des recours avaient donc toutes deux considéré que, puisque les services sous la marque "THE STANDARD" étaient exclusivement fournis en dehors de l’Union, il ne pouvait y avoir aucun usage sérieux dans l’Union européenne.
Le Tribunal de l’Union a, cependant, nuancé cette position et établi une distinction entre, d’une part, la fourniture des services et, d’autre part, les actes d’usage de la marque visant à la promouvoir, seuls ces derniers étant pertinents pour l’appréciation de l’usage sérieux de la marque et n’étant nullement limités à la seule fourniture des services.
Or, bien que les services hôteliers étaient fournis aux Etats-Unis exclusivement, en l’espèce, le titulaire de la marque avait fourni un nombre considérable d’éléments de preuve tels que des publicités ou des promotions à destination de clients situés dans l’Union, des réservations effectuées directement par des clients européens et par l’intermédiaire d’agences de voyage situés dans l’Union, des factures à l’attention de clients résidant dans l’Union, l’existence d’un portail de réservation accessible aux clients de l’Union par l’intermédiaire du site Internet de la chaîne d’hôtels ainsi que des chiffres issus de Google Analytics concernant la fréquentation dudit site Internet, etc.
Cette publicité effectuée au sein de l’Union et à destination de clients européens a été considérée comme suffisante pour établir un usage sérieux de la marque, même si les services étaient fournis exclusivement aux Etats-Unis.
Conclusion
Dans le cas d’une marque de produits, il est considéré que l’apposition d’une marque sur des biens uniquement destinés à l’importation ou l’exportation constitue tout de même un usage sérieux de ladite marque.
Une telle conclusion ne s’imposait pas pour les marques de services, puisque ces derniers peuvent uniquement être fournis à l’endroit où le consommateur les utilise et qu’ils ne peuvent être importés ou exportés. Pour la première fois, le Tribunal de l’Union européenne considère que le lieu d’usage de la marque peut être distinct du lieu de la fourniture des services.
Cette décision revêt une importante pratique conséquente pour les entreprises extra-européennes qui, sans devoir prester des services dans l’Union européenne, peuvent ainsi néanmoins y créer un marché au moyen d’une marque européenne.