Covid-19: Quelles obligations face à la crise ?

Force majeure

Depuis que l’Organisation Mondiale de la Santé a qualifié l’épidémie du coronavirus COVID-19 de pandémie, certains Etats ont adopté des mesures pour éviter que cette propagation empire au sein de leurs frontières.

En Belgique, c’est l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVI-19 qui règle actuellement la situation, notamment concernant la fermeture d’établissements divers, les restrictions dans les déplacements des individus et les commerces, entreprises et services privés et publics réputés nécessaires à la protection des besoins vitaux de la Nation et des besoins de la population et qui, partant, peuvent rester ouverts et dont les travailleurs peuvent se déplacer jusqu’à leur lieu de travail.

Cet arrêté ministériel ainsi que les mesures qu’il impose ont évidemment un impact en droit des contrats et  des obligations. Il pose la question essentielle dans la vie des affaires de savoir dans quelle mesure les parties contractantes restent tenues de s'acquitter de leurs obligations contractuelles ou dans quelle mesure elles peuvent en être dispensées.

Pour rappel, en vertu de l’article 1134 du Code civil, chaque partie doit exécuter les obligations pour lesquelles elle s’est engagée par contrat à défaut de quoi, l’autre partie peut soit exiger l’exécution des obligations de la partie défaillante, soit demander la résolution du contrat aux torts de celle-ci. 

Comment dès lors concilier cet article avec les récents événements de la crise du COVID-19 et les mesures imposées par l’arrêté ministériel ? Ce sont les notions de force majeure et de fait du prince qui permettent de répondre aux deux questions ci-dessus.

 

  • La force majeure

    Précisons d’ores et déjà que la présente contribution est générale et ne s’applique que si le contrat ne prévoit rien en cas de force majeure. Le premier réflexe est donc d’abord de relire son contrat.

    L’article 1147 du Code civil dispose que :  

    « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. ».

    L’article 1148 du Code civil dispose que : 

    « Il n'y a lieu à aucun dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. ».

    La force majeure et le cas fortuit apparaissent comme des notions synonymes quoiqu’elles soient identifiées de façon séparées et relèvent des causes étrangères libératoires qui peuvent être définies de la même manière que la force majeure dès lors que leurs effets et leurs conditions d’application sont identiques. Il s’agit de causes exonératoires de responsabilité et d’exécution des obligations contractuelles.

    La force majeure se définit comme étant un événement à caractère insurmontable, et selon certains, imprévisible, indépendant de toute faute du débiteur de l’obligation et qui empêche ce dernier d'exécuter son obligation. Généralement, en droit belge, il s’agit d’événements apparaissant sans intervention humaine apparente (événements atmosphériques, maladie, …).

    Le fait que l’évènement concerné doive être insurmontable signifie qu'il place le débiteur contractuel dans l'impossibilité d'exécuter les obligations découlant du contrat. Si cette impossibilité doit être absolue, elle ne doit qu’être normalement insurmontable ; c’est une impossibilité humaine, raisonnable. Partant, si l'exécution de l'obligation est simplement rendue plus onéreuse ou plus difficile en raison de cet événement, cela ne constitue pas un événement insurmontable extinctif de l’obligation.

    Le caractère insurmontable de l'événement de force majeure doit être apprécié raisonnablement et in abstracto. Cela signifie que ce caractère insurmontable doit l’être pour tout débiteur placé dans les mêmes conditions.

    La faute du débiteur de l’obligation doit également être exclue. Ainsi, si cet événement était prévisible et que des mesures pouvaient être prises pour y faire face, le débiteur n’est pas libéré de son obligation d’exécution du contrat.

    La notion de force majeure doit également être appréciée au regard de l’obligation dont on invoque l’impossibilité d’exécution (obligation d’exploitation d’un commerce par exemple).

    Ainsi, la force majeure n’exonère jamais de l’obligation de payement d’une somme d’argent, ceci sur base de l’adage « genera non pereunt ». Dans ce cas cependant, l’article 1244 du Code civil peut venir en secours. Il s’agit de demander des termes et délais pour le paiement en raison du fait que le débiteur de l’obligation contractuelle est malheureux et de bonne foi. Il faut toutefois être attentif au fait que l’application de termes et délais ne fait que reporter le paiement, il n’exonère pas le débiteur de son obligation contractuelle de payer. Un courant doctrinal admet également la force majeure dès que le débiteur est privé de tout avantage économique résultant de l’exécution de la convention, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas s’exécuter à perte, car cela excéderait les limites d’une diligence normale. 

    L’impossibilité morale peut également être constitutive d’un cas de force majeure. Cette impossibilité s’applique lorsque « l’exécution représente un danger si grand pour la vie, la santé, la liberté ou l’honneur du débiteur qu’elle ne peut être exigée par le créancier ».

    Les conséquences d’un cas de force majeure sont que :

    • si l’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles est temporaire, alors l’exécution du contrat est suspendue pendant toute la durée du cas de force majeure ;
    • si l’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles est définitive, alors le contrat est éteint ainsi que ses obligations en découlant.

    Il est important de préciser que la suspension ou l’extinction est applicable aux obligations de toutes les parties au contrat et dès lors, pas uniquement à l’égard des obligations de celui qui se prévaut de la force majeure ou du fait du prince.


  • Le fait du prince

    Le fait du prince est défini comme tout acte de l’autorité publique qui empêche juridiquement les contractants d'effectuer les prestations auxquelles ils sont tenus contractuellement (impossibilité juridique).

    Cet acte peut ainsi par exemple consister en des réquisitions, des interdictions, des empêchements, des mesures de police.

    Si le fait du prince est un cas de force majeure, l’on ne peut pas assimiler ces deux notions purement et simplement. Il faut encore vérifier que l’ordre de l’autorité publique n’est pas dû au comportement de celui qui se prévaut de l’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles.

    Pour le surplus, les mêmes considérations que ci-dessus s’appliquent à ceci près que, concernant l’obligation de paiement, il faut évidemment distinguer l’ordre de l’autorité publique de l’obligation privée d’honorer ses obligations contractuelles.


  • Application à la situation actuelle

    Au regard des deux notions que nous venons de définir, il y a lieu de vérifier si elles peuvent être invoquées par l’une des parties (ou même les deux) à un contrat.

    Il est évident que la pandémie due au coronavirus COVID-19 est un cas de force majeure. Il est tout aussi évident que l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 constitue un fait du prince. Nous pensons également que l’impossibilité morale, en fonction des circonstances de l’espèce, pourrait être invoquée par l’une des parties contractantes.

    Partant, les parties à un contrat peuvent en principe être dispensées de leurs obligations contractuelles. 

    Cependant, comme indiqué ci-dessus, il faut définir l’obligation contractuelle pour laquelle l’on invoque le cas de force majeure avant de se lancer dans cette voie et déterminer si l’impossibilité est temporaire (car le contrat est à durée indéterminée par exemple) ou définitive (car le contrat devait être exécuté durant la période de confinement par exemple).

    Ainsi par exemple, si un magasin a été obligé de fermer en raison de l’arrêté ministériel, le locataire pourra invoquer le fait du prince pour justifier qu’il ne peut pas remplir son obligation d’exploitation du commerce. Par contre, dans le cadre d’un bail d’habitation, un locataire ne pourra pas invoquer le fait du prince pour justifier qu’il ne peut pas payer son loyer.

    Il faut donc rester vigilant si l’on souhaite invoquer ces notions dans le cadre de son activité professionnelle ou à titre privé...
     

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