L’approche jurisprudentielle des notions de gardes
La Cour de justice avait déjà, dans le cadre de ses Arrêts du 9 septembre 2003 (Jaeger) et du 3 octobre 2000 (Simap) opéré une distinction entre :
- Les gardes durant lesquelles le travailleur doit être physiquement présent en un lieu déterminé par son employeur : dans cette hypothèse le service de garde doit, dans sa totalité, être considéré comme du temps de travail sans qu’il faille vérifier si des prestations effectives ont été réalisées. Cette position a par ailleurs été récemment confirmée dans un arrêt de la Cour de justice du 23 décembre 2015 (Commission européenne c. République hellénique).
La Cour avait néanmoins précisé dans ses arrêts du 1er décembre 2005 (Abdelkader Dellas c. Premier ministre et Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité) et du 11 janvier 2007 (Vorel c. Nemocnice esky Krumlow) que la directive 93/104/CE ne concernait que l’aspect aménagement du temps de travail et qu’elle ne trouvait pas à s’appliquer à la rémunération, laquelle pouvait être fixée de manière différente que les prestations de la période de garde soient effectives ou non.
- Les gardes pour lesquelles le travailleur doit être uniquement accessible pour d’éventuels appels sans se trouver physiquement en un lieu imposé par l’employeur ; seules les prestations effectives doivent alors être considérées comme du temps de travail.
La Cour de cassation a par ailleurs tenu le même raisonnement dans un arrêt du 10 mars 2014.
Cette jurisprudence n’a néanmoins pas conduit la Belgique à clarifier sa législation en la matière, la définition large de la notion de durée du travail ayant conduit à de nombreuses discussions tant doctrinales que jurisprudentielles.
La jurisprudence majoritaire semble néanmoins considérer que les périodes de stand by ne constitue pas du temps de travail quand le travailleur peut, durant cette période, disposer de son temps comme il le souhaite, sauf si l’intensité des prestations ou l’organisation des interventions l’en empêche dans les faits.
Dans un important arrêt du 6 juin 2011, la Cour de cassation, se fondant sur les dispositions tant européennes que nationales, avait par ailleurs décidé qu’il ne résultait d’aucune disposition légale que la rémunération des heures de garde inactive devait être équivalente à celle des heures de travail effectif.
La question semblait dès lors tranchée au niveau national en ce qui concerne l’aspect rémunération mais la cour ne se prononçait néanmoins pas expressément sur la question du temps de travail.
Dans son arrêt du 18 mai 2015, la Cour de cassation a eu à connaître d’un pourvoi introduit à l’initiative de pompiers contre un arrêt de la Cour du travail de Liège, division Namur, du 2 octobre 2012 qui, en application de la jurisprudence européenne, avait rejeté la demande de rémunération pour des heures de garde inactive à domicile.
La Cour a considéré que la loi du 14 décembre 2000 applicable à l’aménagement du temps de travail dans le secteur public n’appelait pas une autre interprétation que celle faite au secteur privé validant la décision prise par la Cour du travail.
La Cour de justice apporte une importante nuance concernant les gardes à domicile
La Cour de justice vient de prononcer dans un arrêt du 21 février 2018 (Villes de Nivelles/Rudy Matzak), indiquant que le temps de garde qu’un travailleur effectue à son domicile doit être considéré comme du temps de travail dès lors que la contrainte de devoir rejoindre dans un délai très bref son lieu de travail restreint significativement les possibilités pour ce dernier de disposer de son temps comme il le souhaite.
En l’espèce, la Cour était saisie d’un litige opposant un pompier volontaire à son employeur, la Ville de Nivelles.
Ce dernier avait lors de ses gardes à domicile l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes. La Cour de justice a donc décidé que cette restriction significative des possibilités pour le travailleur d’exercer d’autres activités devait être considérée comme du temps de travail.
La Cour, rappelant les principes antérieurs, souligne dans cette affaire que le travailleur ne devait pas uniquement être joignable durant ses heures de garde mais qu’il devait en outre réagir aux appels dans un délai très bref et effectuer sa garde sur un lieu précis déterminé par son employeur même si, en l’espèce, ce lieu était son propre domicile.
La Cour a donc décidé que la contrainte géographique et temporelle pour le travailleur était de nature à limiter de manière objective les possibilités pour tout travailleur se trouvant dans la même situation de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux, justifiant que ce temps soit considéré comme du temps de travail.
Cette décision a néanmoins une portée limitée.
La situation particulière du demandeur se distingue en effet de toutes autres hypothèses de gardes au cours desquelles le travailleur doit uniquement rester joignable pour son employeur et pour lesquels les enseignements antérieurs subsistent.
Il importe néanmoins de ne pas perdre de vue que certains secteurs (notamment les CP 112, 149.01 et 04, 317, 326) ont explicitement encadré le régime du stand by afin de déterminer quelles périodes sont ou non assimilées à du temps de travail.
Reste donc à voir si cette nouvelle jurisprudence les conduira à modifier les règles…