La Cour de cassation, dans un arrêt récent du 14 novembre 2014, a eu à se prononcer l’’action intentée par des parents au nom de leur enfant pour obtenir réparation du préjudice subi par ce dernier du fait d’être né lourdement handicapé (« wrongful life »).
Une mère donne naissance à un enfant lourdement handicapé. Son gynécologue aurait dû, sur la base des documents qui lui avaient été transmis dans le cadre du suivi de sa patiente, déceler le risque qui menaçait l’enfant à naître et en informer la mère, ce qui n’a pas été le cas. En n’informant pas sa patiente, le médecin n’a donc pas permis d’envisager une interruption de grossesse.
Dans ce contexte, la question qui s’est posée à la Cour de cassation est la suivante : les parents de l’enfant né handicapé peuvent-ils obtenir réparation du préjudice subi par leur enfant (et non leur préjudice propre) à charge du médecin fautif ?
Le célèbre arrêt « Perruche » rendu par la Cour de cassation française le 17/11/2000 concerne un cas de figure similaire. Les juridictions françaises avaient initialement refusé de faire droit à une telle demande. La Cour de cassation française, dans ledit arrêt, s’est toutefois prononcée en faveur de la réparation de ce type de préjudice dans le chef de l’enfant.
La Cour de cassation belge ne suit pas ce raisonnement. Selon la Cour, le dommage réclamé par un enfant handicapé à l’encontre le médecin qui a omis de manière fautive d’informer les parents sur l’état de leur enfant, et qui les a ainsi privés de la possibilité de recourir à une interruption de grossesse, n’est pas réparable.
La Cour considère qu’un tel dommage ne peut pas se définir en comparant l’existence de la personne atteinte d’un handicap avec sa propre inexistence.
Plusieurs observations purement juridiques peuvent être faites.
Au travers des années, deux types d’arguments juridiques sont apparus afin de fonder le principe de la non-indemnisation de la « wrongful life ».
Premièrement, l’argument causal, qui tend à dire qu’il n’y a pas de lien causal direct entre le handicap et la faute médicale dès lors que la maladie affectant l’enfant préexistait. Cet argument n’a toutefois pas été retenu par la Cour de cassation dans le cadre de l’arrêt analysé.
Au contraire, la Cour s’est fondée sur le deuxième type d’argument, soit l’argument du dommage, pour rejeter le principe d’indemnisation de la « wrongful life » : le fait pour un enfant de naître handicapé est-il un préjudice réparable ?
Notre Cour de cassation a répondu par la négative ; l’enfant ne peut être replacé dans l’état qui serait le sien si la faute n’avait pas été commise.
La Cour de cassation semble donc ériger en principe général la règle suivante : le dommage n’est réparable, au sens du droit commun de la responsabilité, que dans le cas où ce dommage constitue « une aggravation d’un état par rapport à un état antérieur » (Y.-H. LELEU, « Le droit à la libre disposition du corps à l’épreuve de la jurisprudence Perruche », RGAR, 2002, n°13.466). En d’autres termes, le dommage ne serait réparable que s’il constitue une différence négative par rapport à un état antérieur, au sens de la remise dans un pristin état.
Néanmoins, en érigeant cette règle en un principe général de droit de la responsabilité, la Cour de cassation n’a-t-elle pas développé une solution dont les effets sont de nature à s’étendre bien au-delà de la problématique de la « wrongful life » ?
En effet, en restreignant la notion de dommage réparable aux seuls cas de subsistance d’une différence négative, cette juridiction n’a-t-elle pas fait sortir le droit belge des systèmes prévoyant une indemnisation intégrale de tous les dommages ?
Un enfant qui naît lourdement handicapé subit indubitablement un préjudice mais un préjudice qui se traduit par des besoins futurs plutôt que par une différence négative par rapport à un état antérieur.
La Cour de cassation semble toutefois avoir décidé de ne pas indemniser ce type de préjudice, mais la solution retenue n’est-elle pas hypothétiquement transposable, peut-être de façon purement théorique, à d’autres types de dommages qui jusqu’alors étaient indemnisés en droit commun de la responsabilité ?