Clause d’exonération de garantie in solidum - hypothèse d’écartement

vice caché

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 septembre 2014, a écarté l’application d’une clause excluant toute garantie in solidum, en précisant que "la clause en vertu de laquelle l’architecte, en cas de faute concurrente avec celle de l’entrepreneur, n’est redevable de dommages et intérêts au maître de l’ouvrage qu’à concurrence de sa part dans la réalisation du dommage, implique une limitation de responsabilité de l’architecte à l’égard du maître de l’ouvrage sur la base de l’article 1792 du Code civil et, dans cette mesure, est contraire à l’ordre public" .

Lorsque la responsabilité décennale est engagée, la clause d’exonération de l’in solidum doit donc être écartée.

Postérieurement à cet arrêt, la Cour d’appel de Liège avait toutefois, dans un arrêt du 12 octobre 2016 (inédit, 2015/RG/740, arrêt numéro 2016/6420), refusé d’écarter une telle clause dans le cadre d’un litige concernant un vice grave qui affectait la stabilité de l’immeuble mais qui avait été découvert avant la réception provisoire.

La Cour d’appel de Liège, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation évoqué ci-avant, avait alors rappelé que "la responsabilité décennale de l'architecte qui résulte du vice de la construction est d'ordre public et ne peut, dès lors, pas être exclue contractuellement". Elle avait toutefois estimé qu’en l’espèce, "ce qui est en cause ce n'est pas la responsabilité décennale de l'architecte, mais sa responsabilité contractuelle de droit commun, avant réception. Dans ce cadre, l'aménagement contractuel du régime de l’obligation in solidum tel que prévu par le contrat d'architecture reste valide". 

Selon cette position, la protection liée à l’ordre public ne commençait donc à courir qu’à compter de la réception provisoire des travaux, qui est généralement le point de départ contractuel de la responsabilité décennale.

La Cour d’appel de Liège est revenue sur sa position dans un récent arrêt du 21 septembre 2017.

Dans ce dossier, l’architecte invoquait également une clause d'exclusion de l'in solidum figurant dans le contrat d'architecture.

Aux termes de cette clause :

"L'architecte n'assume pas les conséquences financières des erreurs et fautes des autres édificateurs tels que l'entrepreneur, l'ingénieur,...
D'autre part, il n'est pas responsable des défauts internes de conception ou de fabrication des matériaux et fournitures.
En conséquence, l'architecte n'assume aucune responsabilité in solidum avec aucun autre édificateur dont il n'est jamais obligé à la dette à l'égard du maître de l'ouvrage.
Celui-ci renonce expressément à l'obligation in solidum
".

Contrairement à la solution retenue dans l’arrêt du 12 octobre 2016, la Cour a estimé que "cette clause ne peut être invoquée en l'espèce".

Après avoir (à nouveau) rappelé la décision de la Cour de cassation du 5 septembre 2014, la Cour d’appel de Liège a indiqué que "les manquements retenus à charge de l'architecte […] sont en l'espèce à l'origine de vices graves, de nature à compromettre la solidité ou la stabilité de l'ouvrage.

Il importe peu que l'on se trouve avant ou après réception des travaux. Admettre une limitation de la responsabilité de l'architecte pour des vices qui sont susceptibles, après réception provisoire, d'engager la responsabilité décennale de l'architecte équivaudrait à accepter une limitation de sa responsabilité décennale, laquelle est d'ordre public et ne peut encourir pareille restriction.

La clause invoquée ne conserve sa validité qu'en ce qu'elle permet d'exclure l’obligation in solidum pour ce qui concerne les vices non susceptibles d'engager la responsabilité décennale, quod non en l'espèce" (Liège, 20ème chambre, 21 sept. 2017, 2016/RG/183, 2016/RG/237, 2016/RG/239).

Cette position, qui avait d’ailleurs été défendue par Bruno DEVOS et Bernard DE COCQUEAU dans leur contribution "L’architecte, quelques éléments d’actualité" (in « Les responsabilités professionnelles", collection de la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège, Anthémis 2017, p. 35-117), est accueillie avec soulagement.

Dès lors qu’un vice affecte la stabilité d’un immeuble, il affecte l’ordre public. 

Les conséquences de cette décision, si elle devait être confirmée dans d’autres arrêts, ne sont pas négligeables.

Dans la pratique, les risques qui pèsent sur les architectes (et leurs assureurs) se verront toutefois limités par l’obligation pour les entrepreneurs de souscrire, à compter du 1er juillet 2018,  une assurance responsabilité décennale (cette obligation a été abordée brièvement dans la présente  rubrique, le 9/11/2017).

Avocat(s)