Le Code de droit économique a fait l’objet de nouvelles modifications consacrées par loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les clauses du marché déloyales entre entreprises.
En plus d’introduire le concept d’abus de dépendance économique dans le droit de la concurrence belge, cette nouvelle loi opère également des changements non négligeables vis-à-vis des pratiques de marché et des relations contractuelles entre entreprises.
- Abus de dépendance économique
« Dans le souci d’améliorer la position de négociation des petits commerçants face aux grandes entreprises, cette proposition de loi vise à interdire l’abus d’une position dominante significative. Les autorités de la concurrence peuvent surveiller le respect de cette interdiction tout en présentant les garanties nécessaires d’indépendance de l’enquête. En outre, les partenaires commerciaux lésés n’auront plus à craindre d’agir – que ce soit ou non en justice – contre les pratiques commerciales illicites. » - Travaux parlementaires.
Le nouvel article IV.2/1. du Code de droit économique, introduit par la loi du 4 avril 2019, interdit le fait d’exploiter de façon abusive une position de dépendance économique dès lors que la concurrence est susceptible d’en être affectée sur le marché belge concerné ou une partie substantielle de celui-ci.
La Belgique se place ainsi aux côtés des autres États européens qui ont déjà décidé d’interdire ce type de pratique (Allemagne, Autriche, France, Italie…). Cela est tout à fait permis par les traités européens puisque les États membres ont la possibilité d’adopter des règles nationales plus sévères en matière de concurrence.
Concrètement, en plus d’élargir les compétences de l’Autorité belge de la Concurrence, ces dispositions permettront aux entreprises qui sont en état de dépendance économique et qui subissent des pratiques restrictives de leur partenaire commercial d’introduire une action en cessation et en responsabilité devant les tribunaux ordinaires.
- Clauses abusives entre entreprises
« Certaines entreprises n’ont souvent pas d’autres choix que d’accepter les conditions contractuelles de leurs cocontractants, sans possibilité réelle de négociation. De même, elle doivent régulièrement accepter les conséquences négatives de clauses contractuelles trop souvent stipulées à leur désavantage juridique. Ce déséquilibre dans les conditions contractuelles est un problème récurrent dans notre système juridique et porte non seulement préjudice aux parties lésées mais constitue également un obstacle à la transparence de l’économie. Il est dès lors jugé nécessaire d’introduire également une protection légale contre les clauses abusives pour les contrats conclus entre entreprises. » - Travaux parlementaires.
Le nouvel article VI.91/6 du Code de droit économique stipule :
« Toute clause abusive est interdite et nulle. Le contrat reste contraignant pour les parties s’il peut subsister sans les clauses abusive.».
La loi du 4 avril 2019 consacre ainsi un régime de nullité des clauses abusives dans les contrats entre entreprises. Ces nouvelles dispositions s’inspirent largement des règles existantes en droit de la consommation.
La clause abusive est définie comme toute clause d’un contrat conclu entre entreprises qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties.
Conscient des potentielles incertitudes que pouvait générer cette définition, le législateur a développé une série d’exemples.
La « liste noire » inscrite à l’article VI.91/4 du Code de droit économique contient des clauses jugées abusives de manière irréfragable (conférer à l’entreprise le droit unilatéral d’interpréter une quelconque clause du contrat; en cas de conflit, faire renoncer l’autre partie à tout moyen de recours contre l’entreprise; etc.).
Les clauses reprises dans la « liste grise » de l’article VI.91/5 sont présumées abusives jusqu’à preuve du contraire, en tenant compte des circonstances et caractéristiques du contrat, des conséquences concrètes pour les parties… (autoriser l’entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat; proroger ou renouveler tacitement un contrat à durée déterminée sans spécification d’un délai raisonnable de résiliation; placer, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que celui-ci incombe normalement à l’autre entreprise ou à une autre partie au contrat; etc.).
Ces listes et les clauses qui y sont reprises ne sont toutefois pas dépourvues d’ambiguïtés et pourront être sujettes à des interprétations diverses qui ne manqueront pas d’affairer les professionnels du droit.
Enfin, il convient de préciser que ce nouveau régime d’interdiction des clauses abusives dans les contrats conclus entre entreprises ne s’applique pas aux services financiers. Les marchés publics et les contrats qui en découlent ne sont pas non plus concernés.
Toutefois, par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres et sur avis de la Banque nationale de Belgique et de la FSMA, le Roi peut déclarer certaines dispositions du titre relatif aux clauses abusives applicables aux services financiers qu’Il détermine.
Pareillement, par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, le Roi peut déclarer certaines dispositions du titre relatif aux clauses abusives applicables aux marchés publics et aux contrats qui en découlent qu’Il détermine.
- Pratiques de marché déloyales entre entreprises
« Il apparait nécessaire de lutter plus spécifiquement contre les pratiques du marché déloyales de nature à influencer de manière injustifiée le comportement économique de l’entreprise cocontractante. (…) L’objectif des différents amendements qui vont suivre est de donner aux entreprises qui en sont victimes des outils efficaces pour lutter contre les pratiques du marché déloyales. » - Travaux parlementaires.
La loi du 4 avril 2019 introduit ainsi une série de dispositions, dans le livre VI, titre 4, chapitre 2 du Code de droit économique, réintitulé « Pratiques du marché déloyales entre entreprises ».
Ces modifications constituent, une nouvelle fois, un parallèle évident avec le droit de la consommation.
Sont ainsi interdites, entre entreprises, les pratiques de marché trompeuses, agressives et celles qui favorisent un acte qui doit être considéré comme un manquement au Code de droit économique.
Cette interdiction vise non seulement les pratiques qui ont lieu dans la phase précontractuelle, mais également celles que l’on retrouve dans la phase contractuelle et post-contractuelle.
D’une manière similaire à la législation protectrice des consommateurs, les nouveaux articles VI.104/1, VI.105, VI.105/1, 109/1 et 109/2 tentent de définir au mieux les pratiques faisant l’objet de l’interdiction.
Une pratique est réputée trompeuse si elle mensongère et contient donc des informations fausses, ou si elle induit ou est susceptible d’induire en erreur une entreprise, même si les informations fournies sont factuellement correctes.
Une pratique est réputée agressive si elle altère ou est susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix d’une entreprise.
En tous les cas, une telle pratique, qu’elle soit trompeuse ou agressive, doit avoir amené ou avoir été susceptible d’amener l’entreprise à prendre une décision qu’elle n’aurait pas prise autrement.
- Entrée en vigueur
Tenant compte de la spécificité de chacune des dispositions de la loi du 4 avril 2019, le législateur belge a prévu un délai différent d’entrée en vigueur afin de permettre aux entreprises de s’y conformer.
Les dispositions relatives aux pratiques de marché déloyales, trompeuses et agressives entreront en vigueur au 1er septembre 2019.
En ce qui concerne l’interdiction des abus de dépendance économique, l’entrée en vigueur aura lieu le 1er juin 2020.
Quant aux clauses abusives, le nouveau régime ne s’appliquera qu’à partir du 1er décembre 2020 pour les contrats conclus, renouvelés ou modifiés après cette date. Cette entrée en vigueur différée vise à éviter de mettre en difficulté les relations contractuelles entre les entreprises suite à l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre législatif.