Constitutionnalité de l’indemnisation forfaitaire allouée à la victime de violence au travail

Constitutionnalité de l’indemnisation forfaitaire allouée à la victime de violence au travail

 

  1. La Cour constitutionnelle a été confrontée à quatre questions préjudicielles posées par le Tribunal correctionnel du Brabant wallon à propos de l’article 32decies, § 1er/1, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

    En l’espèce, le cas soumis au Tribunal correctionnel concernait un inspecteur social qui avait été victime d'un acte de violence sur le lieu de travail lors d'une inspection.

    Sur la base de la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, l’inspecteur social sollicitait une indemnité forfaitaire afin d’obtenir réparation du dommage subi.

  2. L'article 32decies, § 1er/1 de la loi relative au bien-être prévoit que la victime d’actes de violence au travail a le choix entre deux types de réparation de son dommage. Il a le choix entre une indemnisation égale au dommage réellement subi par elle (à charge pour elle de prouver l’étendue de ce dommage) ou une indemnisation forfaitaire de trois ou six mois de rémunération brute plafonnée.

    Confrontée à ce mécanisme particulier de réparation du dommage, la juridiction de fond s’est demandé si la disposition en cause ne violait pas les articles 10, 11 (principe d’égalité et de non-discrimination) et 12 (principe de légalité des peines) de la Constitution lus ou non en combinaison avec les articles 6.1 (droit à un procès équitable) et 7 (principe de "pas de peine sans loi") de la Convention européenne des droits de l’homme.

    En effet, pour le Tribunal correctionnel, l’article 32decies de la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail pourrait être inconstitutionnel, dès lors que, d'une part:
     
    • il constitue une peine non prévisible et non accessible, en attribuant à la victime, sur la base de son choix discrétionnaire, une somme forfaitaire qui échappe à tout contrôle judiciaire 
    • et, d’autre part, il entraine trois distinctions :
      • selon que l’infraction est punie en vertu de la loi du 4 août 1996 ou en vertu du Code pénal. Dans le second cas, la victime ne peut pas opter pour une indemnisation forfaitaire mais doit prouver le dommage réellement subi ;
      • selon que la victime est une personne visée à l’article 32decies, § 1er/1, alinéa 3, de la loi précitée ou une autre personne, à savoir une personne qui n’a pas la qualité de travailleur, d’employeur ou de personne y assimilée et qui, en dehors du cadre de son activité professionnelle, entre en contact avec les travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Dans cette dernière hypothèse, la victime ne peut solliciter d’indemnité forfaitaire mais peut uniquement demander la réparation du dommage réel qu’elle prouve ;
      • une distinction liée à l’indemnité forfaitaire allouée puisqu’elle dépend de la rémunération de la victime, indépendamment du dommage réellement subi.

  3. Après avoir rappelé les antécédents législatifs qui ont amené à l’adoption de l’article 32decies tel qu’il existe aujourd’hui, la Cour répond aux questions qui lui sont soumises.

    S’agissant de la conformité de la disposition en cause avec le principe de légalité des peines, la Cour constitutionnelle estime que bien que l’indemnisation forfaitaire prévue par la loi du 4 août 1996 ait un effet dissuasif, elle ne constitue pas une peine mais bien une mesure de droit civil. Par conséquent, elle ne peut pas constituer une peine non prévisible et non accessible.

    S’agissant des potentielles différences de traitement soulevées, la Cour constitutionnelle rappelle que le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

    Elle se rapporte ensuite aux objectifs poursuivis par le législateur lors de l’adoption du mécanisme de réparation forfaitaire dans la loi en cause.

    Le législateur souhaitait d’abord alléger la charge de la preuve qui pesait sur la victime et réduire le nombre de litiges sur le montant de l'indemnisation.

    Il voulait également créer un effet dissuasif à l’égard des auteurs d’infractions.

    Enfin, il visait une harmonisation de la loi en cause avec les législations relatives à la lutte contre les discriminations qui prévoient également ce type de réparation.

    Pour la Cour, la réalisation de ces objectifs relevait du pouvoir d'appréciation du législateur, qui pouvait raisonnablement prévoir un mécanisme de réparation propre aux violences faites au travail.

    La Cour constitutionnelle arrive finalement à la conclusion selon laquelle l’article 32decies de la loi du 4 août 1996 n’est pas inconstitutionnelle.

    Ainsi, la Cour constitutionnelle confirme qu’en cas de violence au travail, la victime reconnue comme telle pourra choisir la voie de la réparation forfaitaire de son dommage, indépendamment de sa valeur réelle.