Rupture pour force majeure médicale: discrimination sur la base du handicap?

Rupture pour force majeure médicale: discrimination sur la base du handicap?

L’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale lorsque le conseiller en prévention-médecin du travail constate l’impossibilité définitive pour le travailleur d’exercer le travail convenu. 

En outre, l’une des conditions énumérées ci-après doit être rencontrée : 

  • Le travailleur n’a pas sollicité l’examen des possibilités relatives à un travail adapté ou à un autre travail ; 
  • Le travailleur a sollicité cet examen et l’employeur a transmis un rapport motivé aux termes duquel il expose les raisons pour lesquelles un travail adapté ou un autre travail est techniquement ou objectivement impossible ou ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés (e.g. charge disproportionnée) ;
  • Le travailleur a sollicité l’examen et l’employeur a remis le plan pour un travail adapté ou un autre travail, toutefois refusé par le travailleur. 

En d’autres termes, l’employeur aurait la possibilité de ne pas examiner les possibilités d’exercer un autre travail ou un travail adapté préalablement à la notification de la rupture pour force majeure médicale, à condition toutefois que le travailleur n’en ait pas formulé la demande expresse. 

Cette interprétation semblerait toutefois incompatible avec l’interdiction de discrimination sur la base du handicap prévue par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

 En effet, l’interdiction de tout acte de discrimination implique l’obligation pour l’employeur de prendre des aménagements spécifiques et adéquats, en prenant en considération les circonstances particulières du cas d’espèce, pour permettre à toute personne porteuse d’un handicap d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser. Cependant, pareilles mesures ne peuvent entrainer une charge disproportionnée dans le chef de l’employeur.

Il est en conséquence peu aisé pour un employeur de faire usage des dispositions légales en vigueur, en apparence incompatibles entre elles, au risque de devoir payer une indemnité équivalente à 6 mois de rémunération.

Cependant, la loi du 10 mai 2007 sanctionne "le refus" de l’employeur de mettre en œuvre des aménagements raisonnables, ce qui implique que le travailleur doit en formuler la demande expresse. 

 Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence récente ; en effet, dans un arrêt du 6 juillet 2021, la Cour du travail de Bruxelles a précisé que "l’abstention de mettre en place les aménagements raisonnables devant permettre à un travailleur handicapé de se maintenir à son poste n’est, par elle-même, constitutive de discrimination que pour autant qu’elle puisse être qualifiée de refus, ce qui suppose qu’une demande ait été formulée en ce sens, à laquelle il n’a pas été donné suite." L’article 34 de la loi du 3/7/1978 semble s’inscrire en conformité avec la loi du 10 mai 2007.

La jurisprudence européenne adopte toutefois une position plus stricte encore.

Par un arrêt rendu le 18 janvier 2024 par la CJUE, saisie d’un litige introduit par un travailleur espagnol victime d’un accident du travail et désormais porteur d’un handicap. A sa reprise du travail, il avait sollicité de l’employeur l’examen des possibilités afférentes à l’exercice d’un autre travail. L’employeur l’a affecté à un autre poste, compatible avec son état de santé. Peu de temps après, le travailleur a été reconnu définitivement incapable d’exercer le travail convenu. Comme prévu par le droit espagnol en vigueur, l’employeur a rompu le contrat de travail pour force majeure. Le travailleur a contesté la rupture de son contrat de travail devant les juridictions nationales ; la cour d’appel a interrogé la CJUE quant à l’interprétation donnée aux obligations d’aménagements raisonnables et à son articulation avec la possibilité de rompre le contrat de travail pour force majeure. 

La CJUE a précisé que l’article 5 de la directive 2000/78 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail proscrit une réglementation nationale autorisant l’employeur à rompre le contrat de travail au motif que le travailleur a été reconnu définitivement incapable d’exécuter le travail convenu, sans que l’employeur ne soit requis de procéder, au préalable, à un examen des possibilités d’un autre travail ou travail adapté, oui encore de dûment justifier l’impossibilité de mettre en œuvre des aménagements raisonnables en raison de la charge disproportionnée qui en résulterait. 

En conséquence de cette jurisprudence, il est vivement recommandé à l’employeur d’adopter une attitude active dans l’exécution du contrat de travail d’un travailleur porteur d’un handicap ; ainsi, malgré l’absence de demande expresse visant à l’examen des possibilités d’un autre travail ou d’un travail adapté, il est préférable de réaliser cet examen préalablement à la rupture pour force majeure médicale, dûment motivée par l’impossibilité d’exercer un autre travail/ travail adapté ou par la charge disproportionnée qui en résulterait. 

Ainsi, la licéité de la loi belge est remise en question, au regard de la législation européenne, alors même qu’il s’agit d’une possibilité intéressante laissée aux parties de prévoir un terme au contrat conclu, en cas d’impossibilité d’exercer le travail au sein de l’entreprise.

Il convient d’y être attentif, sous peine pour l’employeur d’être redevable d’une indemnité équivalente à 6 mois de rémunération.

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