DELIVEROO – délivré, libéré de contrats de travail ?

Deliveroo

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a jugé ce 8 décembre 2021 que la relation de travail entre les coursiers DELIVEROO et cette société ne pouvaient être requalifiée en contrat de travail. Ce jugement n’est toutefois pas définitif.

La question concernait plus d’une centaine de coursiers travaillant pour la société DELIVEROO (livraison de repas, du restaurateur au consommateur, moyennant réservation par une application). Il s’agissait de savoir si la relation de travail entre les coursiers et la société, actuellement indépendante ou inscrite (à tort selon le Tribunal) dans l’économie collaborative, devait être requalifiée en contrat de travail. 

Le Tribunal examine la relation de travail au regard des critères spécifiques repris dans l’arrêté royal du 29 octobre 2013 pour la Commission paritaire 140.03 (activités de transport), dont il a préalablement été déterminé que sa compétence couvrait l’activité menée par les coursiers. 

Les huit critères spécifiques sont analysés et la juridiction considère que six de ces critères sont satisfaits, comme suit :

  • Défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux (soit les coursiers), d’un quelconque risque financier ou économique - satisfait
  • Défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de responsabilité et de pouvoir de décision concernant les moyens financiers de l’entreprise (soit DELIVEROO) - satisfait
  • Défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de pouvoir de décision concernant la politique d’achat de l’entreprise - satisfait
  • Défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de pouvoir de décision concernant les prestations à prendre en compte pour l’établissement du prix des travaux - satisfait
  • Défaut d’une obligation de résultats concernant le travail convenu dans le chef de l’exécutant des travaux - satisfait
  • Ne pas avoir la possibilité d’engager du personnel pour l’exécution du travail convenu - non satisfait
  • Ne pas apparaître comme une entreprise vis-à-vis d’autres personnes - satisfait
  • Travailler dans des locaux dont on n’est pas le propriétaire ou le locataire ou travailler principalement avec un véhicule motorisé dont l’exécutant des travaux n’est pas le propriétaire - non satisfait.

Les critères spécifiques induisent une présomption d’existence du contrat de travail. Toutefois, cette présomption peut être renversée à l’examen des critères généraux, prévus par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006. 

Le Tribunal précise que les critères spécifiques font apparaître une subordination économique. Cependant, le statut de travailleur indépendant implique une subordination juridique, déterminée au moyen des 4 critères généraux. 

Or, à l’issue de l’examen de ces critères généraux, le Tribunal conclut qu’ils sont satisfaits pour les raisons suivantes.  

  • La volonté des parties :

    Systématiquement un des articles de la convention signée par les coursiers fait état de l’exécution de prestations de manière indépendante, en l’absence de tout lien de subordination. Le Tribunal relève que les coursiers ont conclu volontairement et sans aucune obligation ces conventions. La volonté des parties, bien qu’elle soit insuffisante en soi pour renverser la présomption, était de conclure une convention de prestations indépendantes

  • La liberté d’organisation du temps de travail :

    Les coursiers sont libres de se connecter à l’application par laquelle les courses sont proposées, libres d’accepter ou refuser une course, ils ne doivent pas en accepter un nombre minimum et sont libres de travailler en même temps pour une autre plateforme. Le Tribunal relève également que même après l’acceptation d’une course, le coursier peut encore se désister.

  • La liberté d’organisation du travail :

    Les coursiers sont libres de choisir leur itinéraire, leur moyen de transport, leur équipement. Les vestes et sacs isothermes estampillés « DELIVEROO » sont d’ailleurs payants. Le traçage GPS n’influe pas sur l’organisation du travail dès lors qu’il est mis en place pour l’information du client et n’est pas utilisé pour surveiller les coursiers ni leur infliger de sanction.

  • La possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique sur les coursiers :

    Le Tribunal examine cette conditions en précisant que l’élément essentiel du pouvoir hiérarchique, c’est la possibilité d’infliger des sanctions en cas de non-respect des instructions données. En l’espèce, la juridiction conclut en l’absence d’instructions précises données par DELIVEROO aux coursiers et à l’absence de possibilité d’infliger des sanctions. Aucun élément révélateur de l’exercice concret d’un pouvoir hiérarchique ne ressort ni des déclarations des coursiers ni de l’enquête menée par l’Auditeur du travail à l’initiative de cette procédure.

Le Tribunal du travail décide dès lors que l’examen des quatre critères généraux confirme l’absence d’un lien de subordination juridique, de sorte que la présomption établie par la présence de six critères spécifiques sur huit doit être considérée comme étant renversée en l’espèce et qu’il ne peut pas être conclu à l’existence d’un contrat de travail dans le chef des coursiers à la cause.

Cette décision n’est pas définitive et est susceptible d’être réformée en cas d’appel. 

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