Proportionnalité et motif grave - Arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2016

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Une travailleuse dans un supermarché avait été licenciée pour motif grave parce qu’elle avait détourné des « points bonus » de clients de son employeur en les transférant sur sa carte personnelle pour une valeur de 55 euros.

Dans l’arrêt du 12 janvier 2015 faisant l’objet du pourvoi, la Cour du travail de Liège a jugé qu’en agissant de la sorte, la travailleuse avait assurément commis une faute grave, dès lors qu'il est légitime pour un employeur d'exiger de ses travailleurs une parfaite honnêteté, quelle que soit la valeur du détournement qu'elle a opéré à son profit d'avantages destinés à la clientèle.

Elle a toutefois admis que ce seul écart commis en vingt-deux années de service – alors qu'un an et demi auparavant l'employeur lui adressait un courrier par lequel il la félicitait pour sa collaboration sans cesse dévouée durant ces nombreuses années, son attachement à l'entreprise et sa conscience professionnelle, qui lui valaient l'entière estime de la direction et de ses collègues – ne justifiait pas que « cette faute isolée soit considérée comme à ce point grave qu’elle entraînerait la rupture irrémédiable de la confiance devant être placée en elle de sorte que toute poursuite de la relation professionnelle en fût devenue immédiatement et définitivement impossible ».

Selon la Cour, la faute grave reprochée à la travailleuse dans ce contexte propre aux circonstances de la cause ne se trouve pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec la sanction que constitue la perte de son emploi sans préavis ni indemnité.

Après avoir confirmé l’existence d’une faute grave, la Cour du travail de Liège a donc estimé que la sanction du licenciement immédiat sans préavis et indemnité était disproportionnée en l’espèce et a confirmé le jugement entrepris en octroyant à la travailleuse une indemnité compensatoire de préavis.

Le 6 juin 2016, la Cour de cassation a condamné le raisonnement des juridictions du travail liégeoises.

Elle a en effet décidé qu’en liant l’appréciation de la possibilité de poursuivre les relations professionnelles malgré la faute grave commise par la travailleuse, qui constitue le critère légal de la notion de motif grave, au critère, qui lui est étranger, de la disproportion entre cette faute et la perte de son emploi, l’arrêt viole l’article 35, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978.

Il résulte donc de cet arrêt qu’après avoir reconnu l’existence d’un motif grave, les juridictions du travail ne peuvent avoir égard à un critère de proportion entre la faute et les conséquences d’une rupture pour motif grave.

Beaucoup ont conclu - selon nous à tort – à la fin du principe de proportionnalité dans le cadre d’un licenciement pour motif grave.

Nous sommes d’avis que dans l’appréciation de la gravité du motif invoqué, le juge peut encore prendre en compte des circonstances atténuantes, tels que l’ancienneté et un parcours sans reproche.

Comme le relève à juste titre une certaine doctrine, le pourvoi n’aurait probablement pas été accueilli si la Cour du travail de Liège avait simplement décidé, que compte tenu de l’ancienneté sans reproche de la travailleuse, le fait reproché n’était pas un motif grave au sens de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

La prudence est donc toujours de mise au moment de licencier un travailleur pour motif grave.

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