Le litige soumis à la Grande Chambre de la CEDH concerne des travailleuses dont la mise sous vidéosurveillance secrète est à l’origine de leur licenciement.
Suite aux constats de disparités entre les stocks du magasin et les ventes, ainsi que de pertes pendant plus de cinq mois, le directeur d’un supermarché installe des caméras de vidéosurveillance.
Les enregistrements des caméras montrent des caissières qui volent des articles et qui aident des clients et des collègues à faire de même.
Le directeur décide alors de procéder à leur licenciement.
Les travailleuses saisissent les juridictions nationales d’une demande d’écartement de ces enregistrements.
Les juridictions nationales les déboutent en considérant qu’il n’y pas eu, en l’espèce, d’atteinte à leurs droits au respect de la vie privée, que les enregistrements constituent des preuves valables et que leur licenciement est, par conséquent, régulier.
Cette affaire est portée devant la CEDH qui pose un certain nombre de constats.
La CEDH considère que les décisions prises par les juridictions nationales tiennent non seulement compte du droit des travailleuses au respect de leur vie privée mais également de l’équilibre qui doit être recherché entre ce droit et l’intérêt de l’employeur.
Lors de l’examen des motifs légitimes justifiant une telle surveillance, la Cour relève que les soupçons de l’employeur portaient sur des constats de vols d’une certaine gravité.
La Cour se penche également sur les attentes des travailleuses quant au respect de leur vie privée. Selon la Cour, les attentes des travailleuses doivent être considérées comme réduites dès lors qu’elles effectuent leurs prestations dans une zone ouverte au public.
Se basant sur la durée de la surveillance (dix jours) et sur le nombre réduit de personnes ayant visualisé les enregistrements, la Cour conclut que le degré d’intrusion dans la vie privée des travailleuses n’est pas élevé.
La Cour considère également que l’employeur poursuit un but légitime en recherchant les auteurs des vols et qu’aucune autre mesure n’aurait permis d’atteindre le but légitime poursuivi.
Sur la question du caractère secret de la vidéosurveillance, la Cour estime que les irrégularités graves et l’importance des pertes constatées par l’employeur peuvent justifier l’absence de notification préalable des mesures de vidéosurveillance.
Tel ne serait cependant pas le cas si l’employeur avait, sur la base d’un simple soupçon, mis en place une vidéosurveillance sans avertissement préalable des travailleuses.
En conclusion, si le droit au respect de la vie privée du travailleur sur le lieu de travail reste applicable, il peut, dans certaines circonstances, être limité.
Ainsi, les principes de proportionnalité, de finalité et de transparence servent de fil conducteur à la jurisprudence de la CEDH mais également des juridictions nationales pour tracer les limites du droit d’ingérence de l’employeur en matière de respect du droit à la vie privée des travailleurs.
Le juge est ainsi invité à faire la balance et établir un constat d’équilibre (ou de déséquilibre) des intérêts en jeu, dont l’importance des manquements constatés et ses répercussions sur l’entreprise.