Un marché public d’exécution de travaux, passé selon la procédure de l’appel d’offres général, avait été attribué par le Gouvernement flamand au candidat classé premier. La société M, qui avait été classée deuxième, a attaqué cette décision, au motif que le premier candidat ne disposait pas, selon elle, des agréments nécessaires pour l’exécution des travaux en question, et elle a réclamé une indemnité forfaitaire s’élevant à 10 % du montant du marché.
Le Tribunal de première instance de Bruxelles a effectivement jugé que le candidat qui avait été classé premier ne disposait pas des agréments requis, de sorte que l’attribution du marché était irrégulière.
En ce qui concerne l’indemnité forfaitaire égale à 10 % du montant du marché, il a toutefois constaté que l’article 15 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services s’applique uniquement aux procédures d’adjudication publique ou restreinte mais pas à la procédure de l’appel d’offres général. Etant donné que la société M faisait valoir que cette différence de traitement est discriminatoire, le juge a quo a posé la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle:
« L’article 15 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le soumissionnaire auquel le marché n’a, à tort, pas été attribué, lors d’une adjudication publique ou restreinte, a droit à une indemnité forfaitaire fixée à 10 % du montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, de cette offre, alors que le soumissionnaire auquel le marché n’a, à tort, pas été attribué, lors d’un appel d’offres général ou restreint, doit prouver l’existence et l’ampleur de son dommage conformément aux règles de droit commun contenues dans les articles 1382-1383 du Code civil ?
Ou, autrement dit, l’absence d’une disposition législative permettant au soumissionnaire auquel le marché n’a, à tort, pas été attribué, lors d’un appel d’offres général ou restreint, de prétendre à une indemnité forfaitaire fixée à 10 % du montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, de l’offre est-elle contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
La Cour Constitutionnelle a jugé que la différence de traitement entre les soumissionnaires évincés dans le cadre d’une adjudication et d’un appel d’offres n’était pas discriminatoire sur la base du critère du pouvoir d’appréciation laissé au pouvoir adjudicateur.
Dans une procédure d’attribution par adjudication, le pouvoir adjudicateur doit établir un classement unique des offres régulières sur la base des prix. Celui-ci détermine donc de manière purement mathématique le soumissionnaire qui a introduit « l’offre régulière la plus basse ». Le juge peut constater dans de tels cas avec certitude à qui le marché aurait dû être attribué.
Dans une procédure d’attribution par appel d’offres, le pouvoir adjudicateur dispose au contraire d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de l’« offre régulière la plus intéressante » en fonction des critères d’attribution. Eu égard à ce pouvoir d’appréciation, le juge ne peut en règle établir si le marché aurait dû être attribué au soumissionnaire qui estime avoir été évincé à tort.
Le choix du législateur (Doc. parl., Sénat, 1975-1976, n° 723-1, pp. 6-7) de ne pas prévoir une indemnité forfaitaire dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres est dès lors, selon la Cour Constitutionnelle, pertinent et raisonnablement justifié.