Nous évoquions dans notre news du 8 juillet 2013 la teneur de l’accord négocié in extremis par les partenaires sociaux quant à l’harmonisation des statuts des ouvriers et des employés, faisant suite à l’arrêt prononcé deux ans plus tôt par la Cour constitutionnelle.
Ce 27 septembre 2013, le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi introduisant un statut unique entre ouvriers et employés. Sans surprise, ce projet de loi transpose fidèlement le résultat de la négociation intervenue durant l’été ; le texte comporte néanmoins un certain nombre de précisions, complétées par des explications figurant dans les travaux préparatoires.
Nous exposons ici les lignes directrices de ce projet de loi, sans aborder les détails qui pourraient évoluer au cours du processus législatif.
I. La durée des préavis de licenciement et de démission à partir de 1er janvier 2014
Le but poursuivi est que tout travailleur se voie octroyer, tout au long de sa carrière, un délai de préavis dont la durée est directement proportionnelle à son ancienneté ininterrompue au sein de l’entreprise, selon une progressivité variable au cours du temps. Les délais seraient les suivants :
Ancienneté Délai de préavis 0 à moins de 3 mois 2 semaines 3 à moins de 6 mois 4 semaines 6 à moins de 9 mois 6 semaines 9 à moins de 12 mois 7 semaines 12 à moins de 15 mois 8 semaines 15 à moins de 18 mois 9 semaines 18 à moins de 21 mois 10 semaines 21 à moins de 24 mois 11 semaines 2 à moins de 3 ans 12 semaines 3 à moins de 4 ans 13 semaines 4 à moins de 5 ans 15 semaines 5 ans à moins de 20 ans + 3 semaines par année d’ancienneté supplémentaire(jusqu’à 60 semaines) 20 ans à moins de 21 ans 62 semaines A partir de 21 ans + 1 semaine par année d’ancienneté supplémentaire
Les délais de préavis de démission sont fixés à la moitié de ceux que l’employeur doit respecter, arrondis vers le bas et plafonnés à 13 semaines (à partir de huit ans d’ancienneté donc) ; ce plafond est limité à 4 semaines en cas de contre-préavis.
Le délai de préavis débute le lundi suivant la semaine pendant laquelle il a été notifié.
Les droits à un délai de préavis accumulés auprès d’un même employeur jusqu’au 1er janvier 2014 sont fixés dans le respect des règles actuellement en vigueur. Cela signifie que les nouvelles dispositions s’appliqueront aux nouveaux contrats mais également aux anciens, pour la période postérieure au 1er janvier 2014. Ainsi, pour les travailleurs déjà en service avant le 1er janvier 2014, la durée du préavis résultera de l’addition des préavis applicables dans les deux régimes successifs :- pour l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013 : application des règles actuelles (sous la réserve que les employés dits « supérieurs » se voient accorder forfaitairement un mois par année d’ancienneté entamée, avec un minimum de trois mois) ;
- pour l’ancienneté acquise à partir du 1er janvier 2014 : application du nouveau régime.
Toutefois, les (ex)ouvriers ne subiront pas indéfiniment le « désavantage » de l’ancienneté antérieure à 2014 : à partir d’un certain moment, on partira du principe que leur ancienneté a été entièrement acquise dans le nouveau régime. Ils bénéficieront durant une période transitoire (2014-2017) d’une indemnité en compensation de la différence entre le montant payé par l’employeur et le montant auquel le travailleur a droit en vertu de la nouvelle législation. Cette indemnité sera payée par l’ONEm et financée par la suppression de l’exonération fiscale portant sur une partie (1.200 EUR) de l’indemnité de préavis ou du salaire versé durant le préavis.
Les délais de préavis applicables durant la première année d’occupation étant relativement courts, la possibilité de convenir d’une période d’essai est supprimée (sauf pour le contrat d’occupation d’étudiants, de travailleurs temporaires et d’intérimaires, pour l’ensemble desquels les trois premiers jours d’occupation sont automatiquement considérés comme période d’essai). Conséquence de cette suppression : les clauses d’écolage et de non-concurrence seront dorénavant inopérantes durant les six mois qui suivent le début du contrat.
Petite nouveauté, destinée à compenser la disparition des clauses d’essai : chacune des parties à un (premier) contrat conclu à durée déterminée (ou pour l’exécution d’une tâche nettement définie) peut résilier le contrat avant terme, durant la première moitié de la durée convenue (avec un maximum de six mois), moyennant respect d’un préavis d’une durée identique à celle d’un contrat à durée indéterminée.
Le droit du travailleur licencié de s’absenter pour rechercher un nouvel emploi, à concurrence d’une journée par semaine durant les 26 dernières semaines de préavis et d’une demi-journée durant les semaines précédentes, est étendu à tous les travailleurs.
II. Reclassement professionnel
Le projet de loi prévoit l’élargissement du droit au reclassement professionnel aux travailleurs licenciés à compter de la septième année d’ancienneté entamée. Les mesures de reclassement professionnel d’une valeur de quatre semaines sont imputées sur l’indemnité de préavis à laquelle a droit le travailleur à condition que celle-ci couvre une période supérieure à six mois de rémunération.
Ainsi, une indemnité compensatoire de préavis correspondant à sept mois se composera de six mois d’indemnité compensatoire de préavis et de quatre semaines de mesures de reclassement professionnel. Si le préavis d’au moins sept mois est presté, le reclassement professionnel est suivi par le travailleur durant les jours de congé de sollicitation auxquels a droit le travailleur.
III. Mesures sectorielles favorisant l’employabilité
Le projet de loi dispose que les secteurs doivent au plus tard pour le 1er janvier 2019 adopter une convention collective de travail prévoyant pour les travailleurs bénéficiant d’un préavis minimum de 30 semaines ou d’une indemnité compensatoire minimale de 30 semaines, des mesures qui entendent augmenter l’employabilité de ces travailleurs sur le marché du travail. Dans ce cas, les deux tiers de la durée du préavis doivent, comme par le passé, être prestés ou payés sous forme d’indemnité. Le tiers restant est, par contre, remplacé par des mesures visant à accroître l’employabilité grâce par exemple à une formation ciblée prise en charge par l’employeur tendant à conférer des compétences manquantes aux travailleurs.
IV. Exceptions au nouveau régime de préavis
Le projet de loi prévoit la possibilité pour les partenaires sociaux, par l’entremise d’une convention collective de travail intersectorielle, de déroger au nouveau régime de préavis en définissant certaines activités pour lesquelles, tenant compte de leurs caractéristiques, des délais de préavis différents peuvent être adoptés.
V. Compensations financières pour les employeurs
En vue d’atténuer l’impact de la hausse des coûts suite au nouveau régime de préavis, le projet de loi prévoit des mesures financières compensatoires diverses comme une modulation des cotisations patronales pour les services médicaux inter-entreprises ou des régimes spécifiques de cotisations.
VI. Suppression du licenciement abusif des ouvriers conditionnée par la motivation du licenciement
Actuellement, l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit que le licenciement d’un ouvrier est abusif et, ce faisant, donne droit au paiement d’une indemnité correspondant à six mois de rémunération si la rupture des relations contractuelles n’a aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou n’est pas fondée sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.
Le projet de loi prévoit que l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 cesse de s’appliquer (en principe le 1er janvier 2014 au plus tard) dès qu’une convention collective de travail conclue au sein du Conseil National du Travail rendue obligatoire par arrêté royal pour les employeurs du secteur privé ou une norme analogue pour les employeurs du secteur public aura été adoptée concernant la motivation du licenciement.
VII. Dispositions en cas de maladie – Suppression du jour de carence
Actuellement, sous réserve des dispositions sectorielles en la matière, le jour de carence en cas de maladie pour les ouvriers est non rémunéré. Le projet de loi prévoit que le jour de carence pour les ouvriers est supprimé.
Par ailleurs, lorsque le travailleur ne justifie pas son absence pour cause de maladie conformément à ses obligations légales, à savoir s’il omet d’informer son employeur de son absence, de présenter son certificat médical dans le délai prescrit ou encore s’il se soustrait au contrôle effectué par le médecin-contrôleur, l’employeur est autorisé à ne pas payer le salaire garanti pour les jours qui précèdent l’information, la remise du certificat médical ou le contrôle, sauf cas de force majeure ou « raisons valables » invoquées par le travailleur.
Enfin, le projet de loi prévoit des réductions de cotisations de sécurité sociale pour les deux premiers jours de salaire garanti par travailleur et par année calendrier.
Auteurs: Rodrigue CAPART et Géraldine MASSART