Ce 8 mars 2023 une proposition de Loi contenant le livre 6 du nouveau Code civil, relatif à la responsabilité extracontractuelle, a été soumise à la Chambre des représentants. Ce projet bouleverse quelque peu la responsabilité du fait des choses viciées.
Un arrêt récent de la Cour de Cassation nous semble cependant anticiper la réforme.
Il est classiquement considéré que l’article 1384 de l’ancien Code civil instaure une présomption de responsabilité objective pour les dommages causés par les choses que l’on a sous sa garde en raison du vice qui les affecte. Le concept de vice est généralement défini comme étant "une caractéristique anormale qui la rend, en certaines circonstances, susceptible de causer un dommage".
Par un arrêt du 6 décembre 2021, la Cour de cassation a validé le raisonnement tenu par la Cour d’appel d’Anvers. Celle-ci a eu à connaître des conséquences d’une explosion survenue le 12 juin 1999 sur le marché aux oiseaux de la ville, en raison de l’utilisation, par un commerçant, d’une bonbonne de gaz remplie au-delà des limites autorisées et placée à proximité d’une source de chaleur.
La Ville a été considérée comme responsable envers une victime, notamment au motif que le marché est une chose complexe, dont la ville est gardienne au sens de l’article 1384, alinéa 1er, de l’ancien Code civil. Au sens de la Cour d’appel d’Anvers, le marché est considéré vicié en ce que les attentes légitimes de sécurité des utilisateurs ont été trompées.
L’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2021 fait ainsi écho aux partisans d’une approche fonctionnelle du vice. En effet, la Cour retient que le marché est vicié puisqu’il ne remplit pas sa fonction d’offrir un espace sécurisé et non en raison d’une caractéristique anormale par rapport à un modèle de référence.
La Cour rappelle pourtant que "La seule survenance du dommage à la suite de l’ajout d’un élément à une chose ne peut suffire à en démontrer le caractère vicié ; il faut que la chose dans son ensemble présente une caractéristique anormale ; la caractéristique anormale ne doit pas être intrinsèque ou être un élément permanent inhérent à la chose" (traduction libre).
Il nous semble y avoir là une certaine contradiction : comment retenir que le dommage ne suffit pas à établir le vice, tout en retenant que le vice peut être déduit du fait que les attentes légitimes en terme de sécurité ont été trompées ?
Cela illustre les deux conceptions de la notion de vice: une fonctionnelle, basée sur l’attente légitime de sécurité, et l’autre sur la caractéristique anormale intrinsèque d’une chose, comparée à un modèle.
Il faut constater à cet égard que la Cour de cassation anticipe la réforme du Code civil, puisque le projet d’article 6.17 énonce que : "Une chose est affectée d’un vice lorsque, en raison d’une de ses caractéristiques, elle n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre dans les circonstances données".
Les impacts pratiques pourraient être conséquents.