Répétibilité applicable aux pouvoirs publics : revirement de jurisprudence de la Cour constitutionnelle

Le 21 mai 2005, la Cour constitutionnelle a rendu trois arrêts (68/2015, 69/2015 et 70/2015) relatifs aux indemnités de procédure concernant les litiges civils qui opposent les particuliers aux pouvoirs publics. Aux termes de ces arrêts, elle considère que les autorités publiques doivent être soumises au régime de la répétibilité dans les procédures civiles auxquelles elles sont parties, même lorsqu’elles poursuivent une mission d’intérêt général.

Ces arrêts constituent un important revirement de jurisprudence puisque la Cour revient sur l’interprétation qu’elle a jusqu’ici faite de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d’avocat.

Rappel historique

La loi du 21 avril 2007 a introduit le principe selon lequel toute partie qui succombe est tenue au paiement de l’indemnité de procédure, lequel est une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause. Cette répétibilité est toutefois exclue dans les relations entre le prévenu et le Ministère Public. Cette différence de traitement avait été jugée non discriminatoire par un arrêt n° 182/2008 du 18 décembre 2008 de la Cour constitutionnelle (rappelé au point B.3.3. de l’arrêt n°68/2015).

La Cour constitutionnelle s’est ensuite prononcée sur plusieurs questions préjudicielles qui mettaient en cause l’application de l’indemnité de procédure prévue à l’article 1022 du code judiciaire, dans le cadre de litiges civils impliquant une autorité publique exerçant une mission d’intérêt général.

A cette occasion, la Cour a chaque fois estimé que « compte tenu de la proximité des missions assumées par ces autorités et des fonctions exercées par le Ministère Public agissant en matière pénale, et spécialement de l’existence dans les deux cas d’une mission d’intérêt général, il convenait de traiter ces autorités publiques, parties demanderesses ou défenderesses dans le cadre d’un litige civil, de la même manière que le Ministère Public agissant en matière pénale et, partant, d’exclure tout paiement de l’indemnité de procédure dans le cadre des litiges opposant de telles autorités publiques à un particulier » (B.4).

C’est ainsi le cas de l’inspecteur urbaniste en Région flamande (n°43/2012), du fonctionnaire délégué intentant une action en réparation (n°36/2013), du Procureur du Roi dans une action en annulation d’un mariage (n°42/2013), de l’autorité qui requiert des mesures de réparation en matière d’urbanisme (n°57/2013) ou de l’officier de l’Etat civil s’opposant à un mariage qu’il estime de complaisance (n°132/2013).

Evolution normative

L’article 17 de la loi du 25 avril 2014 visant à corriger plusieurs lois réglant une matière visée à l'article 78 de la Constitution a modifié l’article 1022 du code judiciaire dont le dernier alinéa, non encore en vigueur, dispose :

« Aucune indemnité n’est due à charge de l’Etat :

1° lorsque le Ministère Public intervient par voie d’action dans les procédures civiles et conformément à l’article 138bis, § 1er ;

2° lorsque l’Auditorat du travail intente une action devant les juridictions du travail conformément à l’article 138bis, § 2 ;

3° lorsqu’une personne morale de droit public agit dans l’intérêt général, en tant que partie dans une procédure » (voyez le point B.5.1).

Par ailleurs, les nouvelles dispositions introduites par la loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’indemnisation du Conseil d’Etat transposent le principe de la répétibilité devant cette juridiction (article 30/1 des LCCE).


Evolution jurisprudentielle

La Cour estime que la coexistence du futur alinéa 8, 3°, de l’article 1022 du code judiciaire et l’article 30/1 des LCCE – article jugé non discriminatoire par un arrêt n° 48/2015 du 30 avril 2015- crée une différence de traitement difficilement justifiable (voyez le point B.7.2).

En effet, elle déduit de l’article 30/1 des LCCE que « le législateur a explicitement accepté que la poursuite de l’intérêt général par une des parties à la procédure n’était pas exclusive de la condamnation de celle-ci à l’indemnité de procédure lorsqu’elle succombe dans ses prétentions » (voyez le point B.6.2).

Dès lors, compte tenu du fait que le contexte juridique dans lequel la Cour s’était prononcée a subi une évolution normative, elle considère que, dans l’intérêt de la sécurité publique, « il s’impose de reconsidérer, dans son ensemble, la question de la répétibilité des frais et honoraires d’avocat dans les litiges portés devant le juge civil et opposant une autorité publique agissant dans l’intérêt général et un particulier » (voyez le point B.9.3.).

La Cour constitutionnelle conclut donc en ces termes :

« Devant les juridictions civiles, le principe de l’application des dispositions relatives à l’indemnité de procédure à toutes les parties, qu’il s’agisse de personnes privées ou d’autorités publiques agissant dans l’intérêt général, qui était le principe ayant guidé le législateur lorsqu’il a élaboré la répétibilité des frais et honoraires d’avocat, doit être réaffirmé, d’une part pour les raisons de sécurité juridique et de cohérence législative évoquées en B.7 à B.9 et, d’autre part, en vue d’atteindre les objectifs d’efficacité et d’équité procédurales qui étaient ceux du législateur lorsqu’il a élaboré cette réglementation et qui, selon lui, ne s’opposent pas à la poursuite en toute indépendance de la mission d’intérêt général assumée par les autorités publiques" (voyez le point B.10.1).

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