La question du port d’un « couvre-chef » à l’école ou dans l’administration, ou encore celle de la dissimulation de son visage dans les lieux accessibles au public, n’en finissent pas de connaître des développements jurisprudentiels.
1. Faute de décret interdisant le port d’un couvre-chef par des élèves ou des enseignants au sein de l’ensemble des établissements scolaires situés en Communauté française, le Conseil d’Etat est régulièrement saisi de recours à l’encontre de règlements d’ordre intérieur adoptés par des établissements scolaires, voire par des conseils communaux s’agissant de leurs écoles communales.
Jusqu’à présent, s’agissant des élèves, le Conseil d’Etat a toujours rejeté les recours portés devant lui par des élèves (ou leurs parents), se retranchant toutefois dans chacun de ses arrêts derrière des motifs de forme (acte non attaquable ; absence de risque de préjudice grave ; absence ou perte d’intérêt) plutôt que de fond.
Par un arrêt du 27 mars 2013, le Conseil d’Etat a cette fois rejeté explicitement le recours formé par une enseignante d’une école communale de Charleroi à l’encontre d’une délibération du conseil communal interdisant le port de tout signe ostensible religieux, politique ou philosophique aux membres du personnel enseignant lorsqu'ils se trouvent dans l'enceinte de l'établissement où ils sont affectés, et en dehors de celui-ci dans l'exercice de leurs fonctions.
Le Conseil d’Etat estime que les pouvoirs organisateurs de l’enseignement sont bien compétents pour adopter de telles mesures, et se réfère du reste à un arrêt de la Cour constitutionnelle n° 40/2011 du 15 mars 2011 par lequel il a été jugé que le Conseil de l'Enseignement communautaire de la Communauté flamande avait pu valablement prévoir, dans un règlement d'ordre intérieur, et sans habilitation décrétale expresse, qu'il est interdit aux élèves de l'enseignement communautaire de porter des signes religieux et philosophiques visibles.
Cet arrêt, prononcé par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat (ce qui tend à lui conférer la qualité « d’arrêt de principe »), consacre par conséquent la thèse selon laquelle il appartient bien à chaque pouvoir organisateur de l’enseignement de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels, quelle est la conception de la neutralité qu'il souhaite garantir dans ses établissements d'enseignement.
2. La dissimulation de son visage dans les lieux accessibles au public a également défrayé la chronique ces derniers mois. En effet, par la loi du 1er juin 2011 (dite loi « anti burqa »), le législateur fédéral a introduit un article 563 bis dans le Code pénal interdisant, sous peine de sanction pénale donc, la dissimulation de son visage dans les lieux publics.
Cette loi a été attaquée devant la Cour constitutionnelle. Par un arrêt du 6 décembre 2012, ce recours en annulation a été rejeté. La Cour y a notamment estimé que : « Des prescriptions vestimentaires peuvent varier selon le temps et le lieu. Cependant, certaines limites peuvent être imposées à celles-ci de manière impérative dans les espaces publics. Tout comportement ne saurait être autorisé pour la simple et unique raison qu’il est justifié par un motif religieux. (…) Il relève de la marge d’appréciation du législateur de déterminer les restrictions aux libertés précitées qui peuvent être réputées nécessaires dans la société démocratique dans laquelle il exerce ses compétences. (…) Les travaux préparatoires de la loi attaquée font apparaître que trois objectifs ont été poursuivis : la sécurité publique, l’égalité entre l’homme et la femme et une certaine conception du « vivre ensemble » dans la société. De tels objectifs sont légitimes et entrent dans la catégorie de ceux énumérés à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme que constituent le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui. (…) Même lorsque le port du voile intégral résulte d’un choix délibéré dans le chef de la femme, l’égalité des sexes, que le législateur considère à juste titre comme une valeur fondamentale de la société démocratique, justifie que l’Etat puisse s’opposer, dans la sphère publique, à la manifestation d’une conviction religieuse par un comportement non conciliable avec ce principe d’égalité entre l’homme et la femme. Comme la Cour l’a relevé, le port d’un voile intégral dissimulant le visage prive, en effet, la femme, seule destinataire de ce prescrit, d’un élément fondamental de son individualité, indispensable à la vie en société et à l’établissement de liens sociaux ».
3. Reste à voir à présent si ces arrêts suffiront à clore les débats relatifs au port du voile islamique d’une part, et à la burqa d’autre part. La frontière entre la vie publique et la vie privée reste délicate à tracer, et les circonstances dans lesquelles ces questions se posent sont à ce point multiples qu’il y aura sans doute encore de nouveaux recours introduits à l’encontre de nouvelles lois ou règlements adoptés en la matière. Pour l’heure toutefois, le rideau est tombé.