La procédure de réorganisation judiciaire empêche-t-elle l’expulsion du locataire commercial ?

L’objectif de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (L.C.E.) est de maintenir l’entreprise (débiteur) en difficulté en activité et d’assurer sa continuité. Dès lors, lorsque l’entreprise en difficulté est admise au bénéfice de la procédure en réorganisation judiciaire organisée par cette loi, s’ouvre une période de sursis au cours de laquelle certaines protections sont octroyées au débiteur, notamment celle de l’article 30, alinéa 1er L.C.E.
 
Ledit article dispose qu’ « aucune voie d'exécution des créances sursitaires ne peut être poursuivie ou exercée sur les biens meubles ou immeubles du débiteur au cours du sursis».
 
La suspension des voies d’exécution prévue par cet article a-t-elle pour effet d’empêcher l’expulsion d’un locataire commercial dont le bail aurait été résolu par une décision judiciaire antérieure à l’octroi du sursis ?
 
La doctrine unanime considère que l’article 30 L.C.E. ne prohibe que les voies d’exécution sur les biens meubles ou immeubles du débiteur et ne constitue dès lors pas un obstacle à l’exécution d’une décision judiciaire qui mettrait fin au bail.
 
De la sorte, « un locataire en réorganisation judiciaire pourrait-il subir une expulsion du bien loué si le bail avait pris fin antérieurement au sursis, voire pendant celui-ci, nonobstant sa continuité de principe en vertu de l’article 35, § 1er, L.C.E. : " Ainsi, l’expulsion du débiteur doit-elle, par exemple, toujours demeurer possible, même si ce débiteur bénéficie d’une procédure de réorganisation judiciaire. Une expulsion suppose par ailleurs la dissolution du bail sur la base d’une décision judiciaire ou d’une clause résolutoire expresse dans un acte notarié. […] »(E. DIRIX et R. JANSEN, « De positie van de schuldeisers en het lot van lopende overeenkomst », in De wet betreffende de continuïteit van ondernemingen getest gewikt en gewogen, n° 16, cité par A. ZENNER et al., La loi relative à la continuité des entreprises à l’épreuve de sa première pratique, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 149) » (A. ZENNER et al., op. cit., pp. 148-149 ; C. ALTER, « Le sort du bail en cas d’insolvabilité d’une des parties », in Actualité du droit du bail (n° 27), Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 120).
 
Cette position a récemment été confirmée par un jugement inédit du 28 janvier 2013 du Juge des saisies du Tribunal de première instance de Bruxelles. Ce dernier a en effet considéré que l’expulsion « n’a pas pour conséquence de porter atteinte au patrimoine mobilier ou immobilier du débiteur » et que « l’article 30 [L.C.E.] ne trouve dès lors pas à s’appliquer ».
 
Par ailleurs, il est à noter que la résolution du bail, au cours du sursis, reste toujours possible à condition de respecter le prescrit de l’article 35, § 1er L.C.E. :
« Nonobstant toutes stipulations contractuelles contraires, la demande ou l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire ne met pas fin aux contrats en cours ni aux modalités de leur exécution.
Le manquement contractuel commis par le débiteur avant que le sursis ne soit accordé ne peut fonder le créancier à mettre fin au contrat lorsque le débiteur met fin à son manquement dans un délai de quinze jours après qu'il a été mis en demeure à cette fin par le créancier sursitaire. »
 
En effet, J. WINDEY estime que « […] la disposition [l’article 35, § 1er L.C.E.] ne fait pas obstacle, comme par le passé, à la résolution des contrats en cours, même pendant la procédure de réorganisation judiciaire, si les manquements du débiteur, antérieurs au sursis, sont persistants ou si d’autres sont commis pendant ce dernier »(J. WINDEY, « Les effets de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises sur les créanciers et leurs garanties », in F. DE TANDT (prés.), La loi relative à la continuité des entreprises, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 104).